Les bijoux éthiques, une vraie tendance?
Par Tiphaine Bühler. PME Magazine.
Domaine de niche, les bijoux éthiques et durables séduisent de plus en plus en Suisse romande. De quoi s’agit-il et comment s’assurer de la traçabilité des matériaux?
Emily Lam Clément avait la boule au ventre à l’idée de reprendre la joaillerie familiale, «une activité construite sur le travail des enfants et connue pour générer une pollution massive lors de l’extraction des pierres et métaux précieux», souligne la patronne de La Marquise Clément, enseigne historique de Bulle. «J’ai tout de suite décidé de travailler avec de l’or recyclé. On sait que les émissions carbone de cet or sont 300 fois moins importantes que celles de l’or provenant directement des mines», remarque-t-elle.
Pour rappel, l’or recyclé et réaffiné est issu d’anciens bijoux et de composants informatiques. L’entreprise Gyr Métaux Précieux à Baar (ZG), fournisseur principal en Suisse de cet or écologique, a lancé en 2013 la marque Oekogold certifiée par l’incontournable Responsible Jewellery Council (RJC), organisme visant à garantir une chaîne d’approvisionnement durable.
Or minier Fairtrade
Même priorité écologique pour Olivia Jeanrenaud, alias Mademoiselle O, à La Chaux-de-Fonds. «Cela fait vingt-deux ans que je suis bijoutière. A l’époque, l’or recyclé était impayable, de l’ordre de 15 francs de plus le gramme. Aujourd’hui, la différence est moindre. Et avant tout, le coût pour la planète est tellement meilleur.» Misant sur l’or recyclé en circuit court, elle réutilise ses propres déchets de métaux précieux.
Olivia Jeanrenaud propose aussi de l’or artisanal minier Fairtrade, même si sa clientèle privilégie l’or recyclé. «Mon or est un produit PX Impact de la société chaux-de-fonnière PX Group, explique-t-elle. Il est issu d’une mine du Pérou dont les conditions de travail sont contrôlées et qui n’utilise pas de métaux lourds lors de l’extraction.»
Outre les métaux précieux, les pierres sont également un enjeu considérable lorsqu’il s’agit de bijoux éthiques. «C’est plus compliqué de garantir leur traçabilité», admet Mademoiselle O. On peut certifier une pierre, mais pas les conditions dans lesquelles elle a été extraite. Même si les diamantaires sont signataires de différents organes certifiants, la garantie d’origine n’est véritablement assurée que pour les pierres d’exception. Ce manque de traçabilité, l’a poussée à se rapprocher de la start-up neuchâteloise Neocat, qui fabrique des diamants de laboratoire. «C’est une piste très intéressante et pour le coup 100% éthique», ajoute-t-elle.
Le constat «Remuer 250 tonnes de terre pour dénicher 0,2 gramme de diamant n’a plus sens », s’indigne Emily Lam Clément.
A Genève, dans la joaillerie Agua de Oro, on cultive la même vision. Le patron, d’origine bolivienne, connaît personnellement les dégâts de l’industrie minière sur un pays et sa population. C’est pourquoi il propose également des diamants de synthèse. «Ils ont la même composition chimique qu’un diamant de mine, la même dureté, le même éclat. Mais le prix humain et financier n’est pas le même», note Alfredo Arredondo dans un reportage de la RTS.
L'approche circulaire
Encore taboues dans la haute joaillerie, les pierres de laboratoire cochent pourtant toutes les cases de l’éthique et de l’écologie. Or ce type de diamant ne représente aujourd’hui que 2% du marché mondial du diamant. L’entreprise biennoise Ziemer Swiss Diamond Art est l’un des rares producteurs de diamants synthétiques dans le monde. Près de 90% de sa production est cependant destinée à l’industrie, médicale notamment, où la dureté du diamant est très recherchée. Sous la pression environnementale, l’industrie du luxe s’intéresse peu à peu à ces solutions écologiques. Le développement durable était d’ailleurs au cœur des débats lors du dernier salon Watches and Wonders à Genève. Kering et Cartier y ont lancé le pacte joaillier Watch & Jewellery Initiative 2030, visant le sourçage des matériaux. Depuis 2022, Bulgari n’utilise plus que de l’or recyclé certifié pour ses bijoux, tandis que Chopard avait ouvert la brèche en 2018.
Pour répondre à ces demandes, le fournisseur de métaux précieux Metalor s’est allié à l’Université de Lausanne pour établir un passeport «géoforensique», permettant de valider la provenance de l’or minier en analysant son ADN. Une démarche qui ne dit toutefois rien sur l’éthique ou l’écologie des mines. D’autres options se développent pour garantir l’origine de l’or via la blockchain ou grâce à la mise en place de programmes d’accompagnement des mineurs artisanaux.
Le luxe de demain sera-t-il donc de garantir des bijoux éthiques et écologiques? «Il y a encore beaucoup d’efforts faits pour cacher les provenances, estime Emily Lam Clément. Pourtant, je n’arrive pas à comprendre comment on peut appeler luxe quelque chose qui n’est pas éthique et écologique.»
Au-delà des matériaux certifiés, une tendance plus récente encore se dessine. Celle de la transformation de bijoux, une approche circulaire. «En trois mois, j’ai déjà eu cinq projets de transformation de bijoux anciens. Cela donne encore plus de sens au bijou», relève Mademoiselle O.